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V1-Chapitre 6 : Les maîtres sans chaînes

  Annabelle ne bougea pas. Ses mains, enfoncées dans le siège de la calèche, tremblaient d'une fa?on incontr?lable. Le paysage ruiné se déroulait devant elle, mais ses yeux ne percevaient plus rien. Tout était flou, un chaos de formes indistinctes et de couleurs délavées, comme un rêve étrange duquel elle ne parvenait pas à sortir. Mais l'odeur du sang la ramena brusquement à la réalité.

  Les bruits du monde extérieur – le hénissement du cheval restant, les respirations nerveuses de Georges, les grondements des molosses – semblaient venir de loin, alors que la pluie venait de cesser.

  Elle avait vu… non, elle avait vécu l’inimaginable. C'était trop pour elle. Amandinne, la douce nonne qui s'était toujours occupée d'elle après la mort de son père et l'abandon de sa mère, était devenue une horreur sans nom. Une monstruosité infestée de vers grouillants, qui, à chaque instant, semblait vouloir les dévorer vivants. Mais ce n'était pas seulement le monstre qui la hantait. Les rumeurs sur la famille de son père, qui ne vivait jamais bien longtemps, et le pouvoir de son oncle Georges d'invoquer ces molosses… Tout cela ne devrait pas exister, mais pourtant, c'était bien là, devant elle.

  Le temps lui manquait pour reprendre son souffle, pour comprendre ce qui se passait.

  Elle ne comprenait plus rien. Pourquoi tout cela? Pourquoi maintenant? Et pourquoi ressentait-elle ce lien qui pulsait en elle, comme une corde tendue sous sa peau ? Chaque battement du c?ur des créatures, chaque mouvement de leurs corps noirs et imposants semblait résonner dans sa propre poitrine. Elle se sentait liée à elles d’une manière qu’elle ne pouvait expliquer, une sensation aussi intime qu’une respiration partagée.

  Annabelle sentit une boule se former dans sa gorge. Elle voulait parler, crier, mais aucun mot ne sortait. Son souffle était court, haletant. Ses pensées tournaient en boucle, mêlées de peur et de colère.

  C’est alors qu’une main se posa doucement sur son épaule. Elle sursauta et leva les yeux vers Nicolas. Son visage était grave, mais son regard, lui, était doux.

  — Annabelle, respire.

  Elle secoua la tête.

  — Tout ?a… tout ?a est trop bizarre, Nicolas.

  Il hocha lentement la tête.

  — Je sais. Mais tu dois te calmer d'abord. Regarde-moi.

  Elle tenta de soutenir son regard, mais c’était difficile. Son c?ur battait trop vite.

  — On est tous perdus, Annabelle. Tu n’es pas la seule.

  — Mais toi, tu n’es pas… liée à eux ! cracha-t-elle, la voix tremblante.

  Nicolas fron?a légèrement les sourcils, surpris et pas très sur de comprendre

  — Qu’est-ce que tu veux dire ?

  Elle hésita. Elle n’était même pas s?re de le comprendre elle-même.

  Les molosses étaient là, en silence, à quelques pas de la calèche. Leurs yeux bruns brillaient sous la lumière de la lune. Georges donna rapidement un ordre d'un ton nerveux.

  — Bien. Les vers, nettoyez tout ?a rapidement. Il ne doit en rester aucun, y compris ceux qui pourraient être dispersés dans la forêt. Sur le cadavre d'un homme et d'un cheval.

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  Nicolas observa les molosses se mettre en mouvement, puis se tourna vers Georges.

  — T’es s?r qu’ils vont écouter ? demanda-t-il à voix basse.

  Georges se pin?a les lèvres.

  — J’espère.

  Nicolas grima?a.

  — J’espère ? C’est tout ce que tu as ?

  Georges lui jeta un regard noir.

  — Tu veux peut-être essayer de leur donner des ordres toi-même? Qui a dit, "Ce n’est guère l’idéal, mais nous n’avons pas le choix. Fais-le !" quand la situation était critique?

  Nicolas soupira et secoua la tête. Il jeta un coup d’?il à Annabelle, toujours troublée, les bras croisés contre elle comme pour se protéger d’un froid invisible.

  — On est dans la merde, Georges.

  — Je sais.

  Un silence pesant s’installa entre eux, avant que Nicolas ne reprenne :

  — Mais qu’est-ce que tu sais exactement sur cette bague et ces monstres ?

  Georges passa une main dans ses cheveux, agacé.

  — Pas grand-chose. Nos parents m’ont dit que je ne devais l’utiliser qu’en cas de danger de mort. C’est tout.

  — … Sérieusement ?

  — Sérieusement.

  Nicolas serra la machoire, clairement contrarié.

  — Génial. On a des bêtes surnaturelles invoquées par une bague dont personne ne comprend le fonctionnement.

  Georges ne répondit pas tout de suite.

  — Si t’as une meilleure idée, je t’écoute, Nicolas.

  Le plus jeune grogna et se passa une main sur le visage, exaspéré.

  — Pas pour l’instant…

  Annabelle, quant à elle, regardait les molosses se relever et obéir avec réticence à son oncle.

  Elle secoua la tête, comme pour chasser ces pensées, mais elles restaient là, tenaces. La bague. Elle ne savait pas ce qu'elle était, ce qu’elle signifiait. Que venait-elle faire dans tout ?a? Etait-elle prête à accepter ce qui venait avec? Acceptait-elle ce lien invisible mais indéniable?

  Les molosses avancèrent alors, obéissant à l’ordre de Georges. Leurs corps massifs se dépla?aient avec une étrange aisance. Ils se mirent à nettoyer le terrain autour d’eux, tra?nant les restes d’Amandinne et les débris du combat. Ils dévoraient les vers qu’ils trouvaient et remontaient les pistes de sang pour chercher leurs proies.

  Annabelle détourna légèrement le regard, c'était dégo?tant. D'où venaient ces bêtes?

  Elle sentit une pression dans sa poitrine. Elle se leva brusquement et s'empressa de sortir de la calèche à moitié éventrée. Elle devait poser toutes ses questions, celles qui la rongeaient.

  — Georges, dit-elle, la voix tremblante, qu'est-ce que c'était, tout ?a? Pourquoi ces… ces créatures? D'où viennent-elles?

  Georges ne la regarda pas tout de suite. Il gardait les yeux rivés sur les molosses qui terminaient leur tache, leurs corps massifs s’éloignant lentement des restes d’Amandinne. Un silence lourd s’abattit sur eux, étouffant tout son autour, comme si la forêt elle-même retenait son souffle. Puis enfin, Georges tourna son regard vers elle. Ses yeux étaient sombres, fatigués, mais une lueur d’incertitude se cachait dans leur profondeur.

  — Je… je ne sais pas, Annabelle, répondit-il d’une voix rauque. Je ne sais pas. Mais on n’a pas le choix. Ils sont là. On les a invoqués. Et maintenant, on doit vivre avec eux. Je ne sais pas comment les retourner. Je pense pas que ré-infuser mon mana dans la bague soit une bonne idée. Mes parents ne m’ont presque rien dit sur son fonctionnement.

  Annabelle sentit la chaleur de la colère monter en elle. Pas contre Georges, non, mais contre tout ce qui les avait menés ici. Contre les secrets et les mensonges. Contre un héritage qu’elle ne comprenait pas. Elle avait peur de l’inconnu.

  — Tu les as invoqués, murmura-t-elle, la gorge serrée. Tu n’as même pas réfléchi aux conséquences.

  Nicolas s’avan?a et se pla?a entre eux.

  — Stop.

  Annabelle le fusilla du regard.

  — Toi aussi, tu veux me dire d’accepter tout ?a ?

  — Non.

  Elle hésita.

  — … Alors quoi ?

  Il prit une inspiration, puis parla d’un ton calme.

  — Ce que je veux dire, c’est que Georges n’a pas fait ?a pour s’amuser. Il ne savait pas ce qui allait arriver. Et… pour être honnête, personne ne sait comment ?a fonctionne.

  Annabelle sentit sa colère vaciller un peu.

  — Alors quoi ? On va juste vivre avec ces trucs maintenant ?

  Nicolas ne répondit pas immédiatement. Il regarda les molosses au loin, puis Georges.

  — Pour l’instant, on va essayer de comprendre. Et… on va gérer ?a ensemble.

  Annabelle baissa les yeux, troublée.

  Georges la fixa intensément, comme s’il pesait ses mots avant de répondre.

  — J’ai fait ce qu’il fallait faire, Annabelle. Tu veux qu’on laisse la chose qu'est devenue Amandinne nous engloutir?

  Le silence retomba, lourd et oppressant. Georges soupira profondément.

  Annabelle se détourna, ses yeux se posant à nouveau sur les molosses. Leur tache était terminée. Les vers étaient partis, le terrain nettoyé. Ce lien invisible entre elle et eux... Elle ne pouvait plus l’ignorer. Et pour la première fois, elle comprit qu’ils pourraient être là pour longtemps.

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