home

search

V1-Chapitre 2 : Le fil familial

  Le prêtre s’éclaircit la gorge, un raclement rauque qui résonne, cherchant à capter leur attention.

  Annabelle sursaute légèrement, son attention s'extirepant de la lettre sous ses yeux. Son regard glisse du visage du prêtre vers l’endroit où le fossoyeur se trouvait quelques instants plus t?t. Mais l’homme n’est plus là. Seule la pelle abandonnée repose contre un monticule de terre sombre. Une évasion sans cérémonie. Il a fui, comme un rat quittant un navire en perdition.

  Le prêtre, lui, reste sto?que, les mains jointes devant lui. Son sourire est discret, forcé par l’habitude, mais ses yeux laissent entrevoir son empressement à finir cet enterrement.

  — Désolé de vous dérangez, dit-il finalement, sa voix grave résonnant doucement dans l’air. Mais il reste encore une dernière formalité.

  Il s’arrête, laissant un court silence s’installer, pour leur donner le temps de sortir de leur émotions.

  — Nous devons nous rendre à l’église. Un notaire vous y attend pour finaliser le transfert de garde d'Annabelle.

  La nouvelle tombe lourdement, comme une pierre jetée dans un puits sans fond.

  Annabelle ne cille pas. Pourtant, un tressaillement imperceptible crispe la ligne de ses épaules. Ses doigts se resserrent nerveusement autour du tissu de sa robe blanche. Le simple mot ? notaire ? fait pulser un souvenir qu’elle aurait préféré laisser enfoui.

  — ? Un notaire ? ? murmure-t-elle, comme si le mot lui-même avait laissé un go?t amer dans sa bouche.

  Le prêtre incline légèrement la tête.

  — C’est une simple formalité. Tes oncles ont accepté la responsabilité de ton bien-être. Mais tout doit être officialisé.

  Il jette un regard vers Georges et Nicolas, encore figés dans un malaise silencieux.

  Annabelle détourne les yeux. Puis, lentement, son regard dérive vers une autre dalle, un peu plus loin. Une pierre austère, rongée par l’humidité, où des lettres gravées s’effacent déjà sous l’assaut du temps.

  Albert Vance.

  Le nom de son père.

  Ses yeux deviennent brumeux et humide. Chaque lettre gravée dans la pierre semble peser plus lourd que la précédente.

  Nicolas s’avance prudemment, sa voix douce mais maladroite.

  — ? Annabelle… ?

  Elle ne répond pas.

  Georges, lui, reste en retrait. Ses yeux évitent encore ceux d’Annabelle, et il se contente de tordre son chapeau haut de forme entre ses doigts noueux, le frippant.

  — C’est ce qu’il aurait voulu. La voix du prêtre reprend, basse, presque coupable. Que tu sois entourée et protégée.

  Annabelle serre les dents, le go?t du mensonge lui br?lant la gorge. Elle laisse échapper un rire bref, rancunier.

  Did you know this story is from Royal Road? Read the official version for free and support the author.

  — Vous croyez vraiment que c’est ce qu’il aurait voulu ?

  Nicolas s’avance d’un pas, le visage tordu par l'inquiétude.

  — Nous ne prétendons pas comprendre ta peine, Annabelle. Mais nous sommes ta famille. Et même si nous n’avons pas été là avant, nous sommes ici maintenant.

  Annabelle rétorqua rapidement.

  — Pas quand il était malade. Pas quand il est parti. Pas quand maman s’est retrouvée seule. Pas quand elle est restée des mois à pleurer sans s'occuper de moi, qui devait presque tout faire. C'est Amandinne qui était là.

  Le prêtre tente de couper court à la tension grandissante.

  — Annabelle, je comprends ta colère. Mais…

  Elle le coupe, sa voix se brisant légèrement.

  — Non. Vous ne comprenez pas. Vous ne m'écouter pas.

  Un silence s’abat sur eux.

  Enfin, Nicolas, à bout de mots, secoue lentement la tête.

  — Viens. Il tend la main vers elle, et elle hésite, mais la peur d'être abandonnée à nouveau la fait céder. Elle agrippe sa main à contre-coeur, la tête baisser, refusant de montrer sa faiblesse.

  Georges, jusque-là silencieux, finit par trouver sa voix.

  — On ne peut pas changer le passé, Annabelle. Elle ne dit rien en retour, choisissant de rester muette après qu'une grande partie de sa colère soit passée.

  Quelques intants plus tard, le prêtre mène la marche, sa silhouette austère se découpant contre le ciel pale. Nicolas tient toujours la main d’Annabelle, ses doigts maladroitement serrés autour des siens. Il jette des regards furtifs vers elle, cherchant désespérément quelque chose à dire, un mot réconfortant, mais rien ne vient. Chaque tentative avorte dans un soupir.

  Georges suit en silence, le regard fixé sur le sol pour ne pas trébucher. Le sentier de terre s’étire devant eux, bordé d’herbes sauvages et d’arbres immobiles. Annabelle ne dit rien. Ses pas sont mécaniques, sa main moite dans celle de Nicolas.

  Bient?t, l’église appara?t au détour du chemin. Un batiment humble, aux murs de bois sombre, usé par les ans. Devant le portique, deux silhouettes attendent.

  Le maire, vêtu d’un costume sombre, garde une posture rigide. à ses c?tés, Amandinne.

  Dès qu’Annabelle l’aper?oit, un tressaillement la parcourt. Une déferlante d’émotions. Sa main s’arrache brusquement de celle de Nicolas.

  — Amandinne !

  Nicolas étire la main comme pour la retenir, mais elle reste supendue avant que ses doigts ne se referment lentement. La voix d’Annabelle se brise, portée par un sanglot. Elle court, ses petits pieds frappant la terre sèche. La distance s’efface en un instant. Elle se jette dans les bras d’Amandinne, s’accrochant à elle comme à une bouée. Son corps frêle tremble de tout son être.

  — Pourquoi ? Pourquoi tu n’es pas venue ?

  Ses mots se noient dans ses larmes. Un torrent qu’elle ne peut plus retenir. Ses poings se serrent contre le tissu rêche de la robe d’Amandinne.

  L’ancienne servante l’enlace aussit?t, ses mains caressant les mèches brunes emmêlées d’Annabelle. Mais son étreinte manque de chaleure. Elle est douce, mesurée, presque calculée. Ses yeux, légèrement humides, scrutent les visages autour d’elle. Un furtif coup d’?il vers le maire, vers les oncles.

  — Mon pauvre trésor… Si tu savais comme j’ai souffert de ne pas être là.

  Sa voix est basse, empreinte d’une fausse sincérité. Chaque mot est soigneusement choisi. Elle glisse une main sur la joue d’Annabelle, relevant son visage tremblant.

  — J’ai voulu venir, mais… on m’a dit que ce n’était pas approprié. Que ce n’était pas mon r?le. Le maire la regarde en sachant pertinament que c'est faux, mais ce n'est pas son r?le d'intercepté. Il est juste là pour remettre Annabelle à ses oncles. Ces hommes semblent se soucier d'elle, et seront évidemment plus approprier pour en prendre soins.

  Amandinne pousse un soupir, profond, ma?trisé. Son regard cherche encore l’approbation, mais personne ne parle.

  — Mais regarde-toi, si courageuse. Je savais que tu t’en sortirais. Tu es forte, comme ta mère.

  Annabelle, malgré les larmes, relève un instant les yeux. Un doute na?t, son intinct la met mal à l'aise. La voix d’Amandinne est douce, mais quelque chose sonne faux.

  Nicolas serre la machoire, aussi mal à l’aise. Georges la regarde enfin et s'avance. Il met doucement sa main sur l'épaule de sa nièce et tire vers lui, elle n'offre aucune résistance.

  Le maire reste de marbre, sans un mot.

  Mais Annabelle n’y prête pas encore attention. Le flot de son chagrin est trop puissant. Elle se retourne et s’accroche à Georges, cherchant dans cette étreinte la chaleur qui lui manque cruellement.

  Et pendant ce temps, Amandinne continue de jouer son r?le.

Recommended Popular Novels