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V1-Chapitre 1 : La rencontre des oncles

  Annabelle reste figée, les yeux toujours rivés sur la lisière du bois. Le craquement des brindilles se fait entendre à nouveau, plus distinct, plus proche.

  Elle fronce les sourcils. Deux silhouettes émergent lentement du sous-bois, se découpant dans l'ombre des arbres.

  L'une est grande, imposante, une silhouette massive. Georges. Il avance en trébuchant, maladroit dans sa démarche, comme si les racines faisaient exprès de s'accrocher à ses pieds. Une barbe épaisse couvre son visage, cachant à peine une expression confuse, mais sa carrure offre une discordance étrange par rapport à sa démarche.

  Derrière lui, un homme plus petit se fraye un chemin, plus rondouillard, mais son visage rayonne d’une gentillesse flagrante. Nicolas. Il est plus net, plus mesurer, son sourire paisible contrebalan?ant la lourdeur de son frère.

  Annabelle les observe en silence, la gorge nouée.

  Un mélange étrange de curiosité, d'espoir et de frustration la traverse. Des inconnus. Des parents qu’elle n’a jamais vus. Ses oncles. Un soulagement éphémère na?t dans son ventre, l’idée d’un lien de sang. Mais à peine ce soulagement se fait-il sentir qu’il est envahi par du rejet. Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ?

  Georges trébuche sur une racine une autre fois et grogne, rattrapant de justesse son équilibre. Il se redresse, jetant un regard gêné à son frère, puis à Annabelle.

  Nicolas sourit, plus doux, les yeux brillants d'une sollicitude maladroite.

  — Bonjour, Annabelle. Sa voix se veut rassurante. Mais il y a quelque chose dans sa manière de regarder qui trahit une attente silencieuse.

  — Désolé, nous avons pris un peu de temps pour arriver…

  Annabelle ne répond pas tout de suite. Elle les fixe, ses yeux luisant d'innombrable émotions. Tout en elle se tend, son c?ur battant plus fort. Elle scrute leurs visages, à la recherche de quelque chose qu’elle ne trouve pas. Ils sont là, mais elle ne les conna?t pas. Pas plus que des étrangers.

  Le vent fait frémir les feuilles autour d’eux, mais le silence lourd sans suit.

  Un reniflement brise ce silence. Subtil d’abord, presque imperceptible, puis plus marqué, comme un souffle retenu trop longtemps.

  Annabelle détourne lentement son regard de Nicolas. Sans qu’elle ne s’en aper?oive, Georges s’est avancé. Ses larges épaules sont secouées d’un tremblement qu’il tente de contenir. Il est là, figé devant la tombe.

  Son corps massif semble écrasé par un poids invisible. Lui, qui ne l’avait pas vue depuis plus d’une décennie. Lui, qui n’avait jamais re?u d’autres lettres que celle du maire, laconique, annon?ant la mort de sa s?ur. Lui, qui l’avait perdue bien avant aujourd’hui, à cause d’un désaccord qui avait creusé un gouffre entre eux.

  Un souffle rauque s’échappe de sa poitrine. Il avance d’un pas, puis un autre, hésitant, comme si le sol lui-même mena?ait de s’effondrer sous son poids. Sa main se tend et se pose sur la pierre froide.

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  Annabelle tressaille.

  Le geste est identique au sien.

  Exactement là où elle avait posé sa propre main, auparavant ,durant l'enterement. Et voilà que Georges reproduit ce même mouvement, inconscient, instinctif. Comme si un fil ténu, invisible, les liait dans cet instant suspendu.

  Nicolas, resté légèrement en retrait, observe la scène, le visage creusé de remords. Ses traits, d’ordinaire paisibles, sont marqués par une fatigue silencieuse. Il soupire, un soupir long et usé, et une larme solitaire roule lentement sur sa joue pale, glissant le long de sa peau martelée par les années.

  D’un geste mesuré, il retire son chapeau haut de forme, l’abaisse contre sa taille, et ferme les yeux.

  Un hommage silencieux.

  Le vent s’engouffre entre les arbres, soulevant les feuilles mortes dans un tourbillon éphémère. L’air est chargé de non-dits, d’adieux impossibles, de regrets lourds comme des cha?nes.

  Annabelle observe Georges. Elle s'avance et pose à nouveau sa main menue sur la pierre, ses doigts s’agrippant à la surface comme s’il cherchait à retenir quelque chose… ou quelqu’un.

  Les secondes s’étirent, lestées d’un poids insoutenable.

  Puis, finalement, Georges brise le silence. Une voix rauque, fatiguée, à peine un murmure.

  — "éléna…"

  Un simple nom. Murmuré comme une prière, un aveu, un pardon trop tardif.

  Et sous le ciel bleue à perte de vue, entre la pierre et les c?urs brisés, Annabelle brise cet instant comme du verre qui craque.

  — Vous saviez que j’existais… avant ? Sa voix est basse, fragile, comme si elle redoutait d’entendre la réponse.

  Georges, figé, ne bouge pas. Ses yeux, fixés sur la pierre, semblent chercher une échappatoire, mais rien ne vient. Il ouvre la bouche, mais aucun mot ne sort. La gorge nouée, il lutte contre un n?ud qui semble l'étrangler de l’intérieur, un poids qu’il n’arrive pas à expulser. Ses yeux cherchent ceux de Nicolas, mais son frère reste un pas en arrière, immobile.

  Annabelle attend, impatiente et incertaine, son regard per?ant sur Georges. Les secondes s’étirent, puis Nicolas, qui vient d'ouvrir les yeux, et est visiblement mal à l’aise, remet son chapeau précipitamment sur sa tête, se redressant pour s'avancer d’un pas.

  — La lettre du maire… commence-t-il, sa voix douce mais ferme, comme s’il était en train de réciter quelque chose qu’il avait longuement réfléchi.

  — Pour la première fois, nous avons re?ue des nouvelles d'éléna… depuis fort longtemps.

  Il marque une pause, observant Georges qui semble se replier encore davantage sur lui-même.

  — Ta mère… elle avait tout prévu. Elle savait que ce moment viendrait, avant de commettre... tu sais quoi.

  Georges émet un bruit, un soupir étouffé. Ses yeux sont pleins de regrets, une lutte silencieuse se déroulant dans ses traits tendus. Nicolas poursuit, sans se laisser perturber par la tension palpable.

  — Elle… elle ne nous a jamais écrit avant. La seule lettre de formalité. C'est celle que nous venons d'avoir, il y a une semaine de ?a.

  Il s’éclaircit la gorge, son regard fuyant celui d’Annabelle.

  — Je ne savais pas… je ne savais pas comment te dire ?a, Annabelle. Georges non plus.

  Annabelle retire sa main de la tombe, le fixant en s'avan?ant vers lui. Elle s'arrête seulement lorsqu'elle se trouve à un bras de distance de lui, la tête le regardant dans bas, puisqu'elle atteint à peine sa poitrine.

  Le vent fait à nouveau frémir les feuilles autour d’eux, Nicolas met sa main dans son veston, et en ressort une enveloppe qu'il lui remet. Annabelle, les yeux fixés sur son oncle, puis sur cette lettre, reconna?t immédiatement l'écriture dessus.

  Georges, enfin, fait un pas en avant, sa voix se brisant quand il parle.

  — Si... si seulement, j'avais été là plus t?t. C’est tout ce qu’il parvint à dire, et pourtant, l’intensité du poids dans ses mots est suffisante pour remplir le silence environnant.

  Annabelle, les yeux presque inondés de larmes, détourne le regard, la rage et la douleur se mêlant à une profonde confusion.

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